MESSAGE DES ÉVÊQUES DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE EN HAÏTI
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Chers frères et sœurs dans le Christ,
Chers concitoyens,
« Il faut que quelque chose change ici ! »
1. Il y a quarante ans, le 9 mars 1983, en visite sur la terre d’Haïti, auprès d’un peuple qui fut alors debout contre le joug de la dictature, le Pape Jean-Paul II lançait un cri prophétique qui fit écho à la voix des Évêques d’Haïti. En effet, la Conférence des Évêques avait choisi comme thème du Congrès Eucharistique qui s’est tenu en Haïti à la même occasion : « Il faut que quelque chose change ici ! »
Nous saisissons cette occasion pour nous adresser à vous chers frères et soeurs Haïtiens, parce que nous vous aimons et que nous sommes préoccupés par votre situation. Nous parlons aujourd’hui, pas pour alimenter la morosité de plus d’un, mais parce que nous aimons notre pays comme vous. Nous nous rendons compte de votre lassitude, de vos frustrations, de tout ce qui vous tenaille et vous empêche de vivre. Mais nous nous rendons compte aussi des attentes et de profonds changements qui vous habitent. Nous ne sommes pas indifférents et insensibles à tout cela. Nous sommes vraiment touchés par les situations de misère et d’exclusion que vivent beaucoup d’entre vous dans ce pays. L’Église catholique en Haïti, malgré ses blessures et ses limites ne cesse jamais de marcher avec vous. Tout ce qui touche votre vie est au coeur de la vie de cette Église : vos joies et vos espoirs, vos tristesses et vos angoisses, surtout les plus pauvres, ceux qui souffrent. Tout ce que vous vivez dans votre chair trouve écho en elle (cf. Gaudium et Spes, n° 1).
Nous prenons la parole aujourd’hui, parce que tout simplement, nous sommes membres de la Cité ; parce que comme citoyens et comme chrétiens, nous ne pouvons pas nous désintéresser de ce qui touche à la vie de notre société haïtienne. Haïti appartient à tous ! Aujourd’hui, la situation de notre pays nous pousse à reprendre le même message du Pape Jean-Paul II : « Il faut que quelque chose change ici ! »
2. En regardant en face les dures réalités d’alors, caractérisées par un pouvoir autocratique qui opprimait les citoyens, l’Église se devait de cristalliser la clameur de ce peuple qui aspirait tant à une société libre et démocratique. Mais le changement de régime politique, qui survint peu de temps après la visite du Saint-Père, n’a pas comblé les espérances du peuple dont les attentes ont été déçues. Plus les années passent, plus l’unité patriotique qui venait à bout du régime despotique se désagrégeait pour laisser la place à la division. S’en suivirent des querelles intestines incessantes qui engendrent la mauvaise gouvernance illustrée par l’impunité, l’injustice, l’inégalité excessive, la corruption, la violence, etc… Avec le temps, ces travers qui deviennent systémiques gangrènent tout le corps social et érodent les conditions de vie de nos sœurs et frères dont un grand nombre vit dans la misère la plus abjecte.
3. Au cours de ces dernières années, nous avons assisté à une ingénierie du mal orchestré savamment dans le but de casser tous les ressorts qui supportaient encore les pans de notre société. La violence systématisée et planifiée défie les Autorités et les Forces publiques. Sans le moindre risque d’être inquiétés, les gangs armés revendiquent leurs crimes abominables : vol, viol, pillage, incendie, enlèvement, meurtre. Partout dans le pays, ils multiplient les démonstrations de force, occupent chaque jour de nouveaux espaces sous le regard impassible des autorités dont l’indifférence et l’inaction sont plus que déconcertantes. Comment des gouvernants qui sont censés défendre et protéger les citoyens peuvent manifester autant de passivité face à une violence aussi cruelle qui plonge toute la société dans une angoisse et un désespoir collectifs ? Que résonne dans leurs oreilles et dans leurs coeurs ce cri lancinant de tout un peuple : « Il faut que quelque chose change ici ! ». Et c’est maintenant ! Nous ne pouvons plus compter les exactions et les crimes commis par ces bandits dont le nombre croît de manière exponentielle. Il ne reste plus un endroit sûr où vivre dans le pays. Pour sortir de chez eux et y revenir, les citoyens sont à la merci des gangs armés qui imposent leurs lois.
4. Devant l’indifférence et l’inaction totales des Autorités de l’État, allant jusqu’au mépris du peuple souffrant, laquelle s’ajoute aux promesses, à chaque fois déçues, des pays amis, d’aucuns se demandent si le pays n’est pas l’objet d’une vaste conspiration aux objectifs inavoués. Il est clair que seuls, nous ne pouvons pas combattre ce mal qui a poussé de si nombreuses racines dans notre pays. Au nom de la solidarité internationale et de la fraternité universelle, la Société des Nations se doit de se manifester à un moment où tout un peuple est exposé à la terreur des gangs qui n’épargnent ni femmes ni enfants ni les personnes malades. Le temps est à l’action concrète. L’aide dont notre peuple a besoin aujourd’hui doit se définir en fonction de ce qu’il vit véritablement et de ses propres aspirations au bien-être et à la justice. Le chemin du relèvement d’Haïti est celui de la fraternité et de l’amitié sincères.
5. Comme le Christ Ressuscité sur le chemin d’Emmaüs, l’Église entend réveiller les consciences et les coeurs, et raviver l’Espérance, grâce à la lumière de l’Évangile qui est un message de Paix et d’Amour. Aussi, chers concitoyens, nous vous interpellons, en vous invitant à revenir à la Paix, à la Fraternité et au Respect de la vie qui est sacrée.
La gouvernance du pays doit tenir compte du Bien Commun et de l’intérêt collectif en neutralisant toute tentation de recherche éventuelle d’intérêt personnel ou de clan. C’est la voie royale menant à une société ouverte à la participation de tous ses citoyens à travers des mécanismes consensuels. Aussi en appelons-nous à la sagesse des tenants du pouvoir de favoriser un climat de confiance susceptible d’attirer les courants divergents à un dialogue franc qui place le pays au-dessus de toute considération de chapelle. Nous les exhortons à agir vite avant qu’il ne soit trop tard.
Nous interpellons avec gravité la conscience de tous ceux qui financent et entretiennent avec cynisme ces violences. Vos vies et celles de vos proches sont sacrées, mais sachez que chaque vie est tout aussi précieuse. Notre vie à chacun a une valeur inestimable. Prêtez l’oreille au gémissement du nombre incalculable d’innocents qui vous demande d’arrêter la terreur. Nous vous en conjurons, renoncez à cette violence qui asphyxie nos enfants et qui détruit nos soeurs et frères Haïtiens !
Les victimes, quant à elles, doivent obtenir justice et réparation. Le peuple en a assez ! Il n’en peut plus! Il est vraiment temps que quelque chose change pour de vrai sur cette terre en faveur de ce peuple bafoué, humilié, violenté ! Il est vraiment temps « que les « pauvres » de toutes sortes se reprennent à espérer » (Saint Jean-Paul II).
6. En confiant le peuple souffrant d’Haïti au Christ Jésus, qui a connu Lui-même la souffrance et les épreuves jusqu’à la Croix, nous Lui demandons la grâce de l’Espérance afin de continuer à croire au salut de ce pays et d’y travailler de toutes nos forces et de tout notre cœur.
7. Que la Bienheureuse Vierge Marie intercède pour nous en vue d’un dénouement heureux de cette situation tragique sans précédent par le dialogue et la réconciliation ! Que Dieu vous bénisse et bénisse Haiti !
Donné au Siège de la CEH, le 9 mars 2023, en ce 40ème anniversaire de la visite de saint Jean-Paul II en Haïti.
Suivent les signatures des Évêques de l’Église Catholique en Haïti :
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Mgr Launay SATURNÉ
Archevêque Métropolitain du Cap-Haïtien
Président de la CEH
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Mgr Désinord JEAN
Évêque de Hinche
Économe de la CEH
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Mgr Pierre André DUMAS
Évêque d’Anse-à-Veau / Miragoâne
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Mgr Marie Érick Glandas TOUSSAINT
Évêque de Jacmel
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Mgr Quesnel ALPHONSE, SMM.
Évêque de Fort-Liberté
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Mgr Max Leroy MÉSIDOR
Archevêque Métropolitain de Port-au-Prince
Vice-Président de la CEH
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Chibly Cardinal LANGLOIS
Évêque des Cayes
Conseiller
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Mgr Joseph Gontrand DÉCOSTE, SJ
Évêque de Jérémie
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Mgr Yves Marie PÉAN, CSC
Évêque des Gonaïves
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Mgr Carles Peters BARTHELUS
Évêque de Port-de-Paix