Message des Évêques catholiques d’Haïti en date du 29 juillet 2022, suite à « un incendie d’origine criminelle » à la Cathédrale transitoire de Port-au-Prince, le 27 juillet dernier
« O Dieu ! Ils ont mis le feu à ton sanctuaire !… Ils ont envahi ton héritage. Ils ont profané ton saint temple, la demeure de ton Nom ! » (Psaumes 74 :7.8 ; 79 : 1).
- La dégradation générale de la situation du pays nous inquiète de plus en plus comme Pasteurs de ce peuple qui souffre tant. Nous avons tant de fois élevé nos voix pour interpeller chacun et chacune des fils et des filles de la Patrie commune, afin de les alerter et sensibiliser sur les enjeux majeurs de l’heure. La peur a, par ailleurs, plongé les uns dans une profonde léthargie, tandis que les autres ne cessent de se rendre complices des malheurs de notre peuple : corruption, extrême pauvreté, insécurité généralisée, kidnapping, la méfiance interpersonnelle sont les maux auxquels est venue s’ajouter la violence systémique des gangs armés qui se déclarent la guerre ici et là.
- Le centre-ville de Port-au-Prince est devenu, ces derniers jours, le théâtre de violents affrontements entre bandes armées illégales, causant de nombreuses victimes au sein de la population civile aux abois, en grande détresse. La Police elle-même semble impuissante. Situé au cœur de ces zones d’affrontements, l’édifice de la Cathédrale transitoire de Port-au-Prince a été ce 27 juillet gravement affecté par « un incendie d’origine criminelle » que les services de pompiers ont fort heureusement réussi à circonscrire pour sauver ce lieu sacré. Avec les autorités ecclésiastiques de l’Archidiocèse de Port-au-Prince, nous les remercions de tout cœur.
- Constatant avec une profonde tristesse et un sentiment intérieur de révolte la dégradation acceptée et largement provoquée de la situation du pays dans sa descente aux enfers, la CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES D’HAÏTI (C.E.H) s’étonne et s’indigne contre l’impuissance de l’autorité de l’État, laissant le champ libre aux gangs lourdement armés pour mettre à exécution en toute impunité tous leurs actes prémédités. Ils kidnappent, séquestrent, cassent, tuent, brûlent, et mettent ainsi en défi les pouvoirs établis qui semblent totalement dépassés par ce qui se passe.
- Nous nous demandons : pourquoi l’État n’agit-il pas pour sévir avec la rigueur nécessaire dans le cadre de la justice pour mettre les bandits hors d’état de nuire ? Est-il impossible de couper les sources qui fournissent aux groupes et aux individus les armes et les munitions, ou bien cela profite-t-il à des personnes intouchables ? Tandis que les acteurs de violence ne manquent jamais de moyens et sèment quotidiennement la terreur, les agents de la Police nationale semblent généralement en être dépourvus et ne peuvent exercer leur mission de manière efficace.
- Il devient impossible d’investir et de s’investir en toute sérénité dans un pareil climat d’insécurité généralisée. Aussi constatons-nous avec inquiétude une augmentation considérable du nombre de ceux et celles qui fuient le pays, en particulier des jeunes qui, ne sachant plus à quel saint se vouer et vivant une grande instabilité, ne voient de salut qu’ailleurs. Aujourd’hui, plus que jamais, il nous faut regarder en profondeur la crise qui mine depuis si longtemps notre vie de peuple et y trouver des éléments efficaces de solutions.
- L’État de droit a connu un moment de grande déception ; toutes les institutions régaliennes sont dysfonctionnelles. Les zones de non-droit prolifèrent et la violence a tendance à être récurrente et systématique. Tombant dans les sphères où règnent les gangs, ces endroits échappent totalement au contrôle de la puissance publique et mettent à mal le principe de l’indivisibilité du territoire consacré par la Loi mère (cf. Constitution de 1987, amendée, art. 1er). Les acteurs et promoteurs de violence recrutent et arment incessamment et la Police s’affaiblit de jour en jour. Les voies de sortie de la Capitale sont presque toutes bloquées, les gangs armés sont en guerre partout. Cet état de fait met en péril le pays et l’activité de tous, à l’exception des acteurs de violence eux-mêmes. Il nous faut restaurer l’autorité de l’État pour faire souffler sur le pays un air de renouveau et de paix.
- Nous unissons nos voix à celles de tous ceux et celles qui souffrent de cette situation et qui aspirent à la sécurité et à la paix, pour exiger une action immédiate de la part des autorités qui ont la charge de l’État et du bien-être des citoyens. Car, il est urgent de travailler dans le meilleur des délais pour le désarmement des gangs, pour permettre à la Police nationale de mener en toute liberté et avec égal traitement ses opérations à l’encontre des acteurs de violence armés ou d’insécurité et de créer un climat de sérénité et de confiance. Il faut, entre autres, empêcher le passage par les frontières et l’entrée des munitions dans le pays, arrêter et juger les auteurs matériels, les commanditaires et les promoteurs des actes qui enfreignent la loi. Nous devons tous nous rappeler ici, à la suite d’Edmund Burke, que « la seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des gens de bien… ».
- Nous invitons tous et chacun, hommes et femmes d’affaires, hommes et femmes politiques et d’État, ainsi que les membres de la Société civile à travailler en synergie pour combattre le fléau de l’insécurité sous toutes ses formes. Nous contribuerons ainsi au changement espéré de tous. Nous ne pouvons plus continuer à vivre comme de potentielles victimes du banditisme qui règne dans le pays, ni accepter la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui comme si elle était normale. Il est déjà venu le temps de nous réveiller de notre torpeur, pour dire de toutes nos forces : Non à l’insécurité ! Non au kidnapping ! Non à la légalisation, par la complicité, de l’activité des gangs armés ! Non à tout projet d’anéantissement de l’État visant à faciliter un quelconque agenda à l’encontre de ce peuple à qui cette terre est léguée !
- Attaquer les institutions qui empêchent de faire sauter les derniers verrous dans la Cité est un procédé dont le seul objectif est de rendre le pays plus vulnérable et servile. L’Église catholique, à tous ses échelons, proteste contre ces attaques ignobles et choquantes qui ont affecté ou touché la Cathédrale transitoire de Port-au-Prince et qui nous attristent profondément. La CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES D’HAÏTI s’unit aux autorités ecclésiastiques et au clergé de l’Archidiocèse de Port-au-Prince pour dénoncer cet acte malveillant. Nous invitons toutes les personnes physiques et morales, victimes de cette situation de violence et d’insécurité, à faire de même tout en s’engageant concrètement pour faire advenir le dialogue dans ce pays la Justice et la Paix.
- À ce point tragique dans l’histoire de notre cher pays, nous avons particulièrement besoin de prier pour solliciter l’intervention toute-puissante de Dieu et l’intercession maternelle de la Bienheureuse Vierge Marie, Notre-Dame du Perpétuel Secours. Nous appelons donc tous les fidèles à une prière incessante et confiante au Seigneur pour la libération d’Haïti.
Donné, à Lillavois, au siège de la C.E.H., le 29 Juillet 2022, mémoire des Saintes Marthe, Marie et Saint Lazare.
Suivent les signatures des Évêques :
Mgr Launay SATURNÉ
Archevêque Métropolitain du Cap-Haïtien
Président de la CEH
Mgr Désinord JEAN
Évêque de Hinche
Économe de la CEH
Mgr Max Leroy MÉSIDOR
Archevêque Métropolitain de Port-au-Prince
Vice-Président de la CEH
Chibly Cardinal LANGLOIS
Évêque des Cayes
Conseiller
Mgr Pierre André DUMAS
Évêque d’Anse-à-Veau / Miragoâne
Mgr Joseph Gontrand DÉCOSTE, SJ
Évêque de Jérémie
Mgr Yves Marie PÉAN, CSC
Évêque des Gonaïves
Mgr Marie Érick Glandas TOUSSAINT
Évêque de Jacmel
Mgr Quesnel ALPHONSE, SMM.
Évêque de Fort-Liberté
Mgr Charles Peters BARTHELUS
Évêque de Port-de-Paix